Après sa sortie de prison : Raphaël Dogbo plaide pour la libération des prisonniers de la crise post électorale
Au cours d’un point de presse animé, hier sur le thème : « réconciliation et libération des prisonniers de la crise post-électorale », le porte-parole de l’ex-bureau du collectif des détenus de la crise post-électorale, a exprimé sa profonde gratitude au chef de l’Etat pour leur libération. Raphaël Dogbo ne veut pas jouir seul de cette liberté, il a plaidé pour la libération de ses co-détenus encore en prison. Ci-dessous, l’intégralité de sa déclaration.
En qualité de porte-parole de l’ex-Bureau du Collectif des détenus de la crise postélectorale, je tiens avant tout à préciser que je suis connu comme leader du mouvement des personnes handicapées en Côte d’Ivoire, donc proche des questions sociales et humanitaires depuis plusieurs décennies, et sensible aux douleurs humaines. J’ai été détenu par deux fois, une première fois en 2011 à la prison civile de Boundiali et une seconde fois en 2014, à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA) où je fus même porte-parole des prisonniers de la crise postélectorale. Je suis donc un sachant, un intellectuel et un citoyen de ce pays, qui ne veut pas jouir seul de sa liberté et qui veut s\'impliquer et apporter, avec ses compagnons d’infortunes libérés eux aussi, sa modeste pierre à l\'édifice de la réconciliation nationale, loin de toute prétention, loin de faire entorse à quelque chapelle politique ou quelque conviction antagoniste, loin de toute défiance ou même de compromission, afin de favoriser la cohésion sociale. Pour tout dire, nous sommes témoins des douleurs carcérales et en frères solidaires, nous avons décidé d’inciter et d’encourager le Président de la République, le Gouvernement et les autorités judiciaires à libérer tous les prisonniers de la crise postélectorale ; tel est le sens de notre démarche.
En effet, nombreux sont ceux parmi nous qui parlent de prisonniers sans savoir ce qu’est la prison et ses conséquences désastreuses pour les prisonniers et leurs familles. Quand on est en prison, on n’a plus de dignité, comme le dirait les militaires, le grade ou le titre ne comptent plus.
Quand on est en prison, c’est un seul repas indigeste par jour, ce sont les moustiques, c’est la promiscuité, ce sont les senteurs nauséabondes et un environnement pollué, c’est l’absence d’hygiène, c’est le manque de médicaments, ce sont les maladies, les épidémies et parfois la mort pour certains, c’est l’insécurité physique, c’est la galère totale, en un mot c’est l’enfer !
Au dehors, ce sont des familles disloquées, ce sont des enfants déscolarisés, livrés à eux-mêmes ou déshérités, ce sont des pertes d’emploi, c’est une paupérisation grandissante, ce sont des êtres chers qu’on perd et aux obsèques desquels l’on ne peut assister, ce sont enfin les moqueries de certains proches raillant la déchéance du prisonnier.
C’est pourquoi chez nous on dit que même à son pire ennemi, il n’est pas bon de souhaiter la prison. Lorsque dans ces conditions, si même un seul prisonnier venait à être libéré, il est juste et bon de nous en réjouir car ce sont plusieurs vies qui sont sauvées.
Mesdames et messieurs les journalistes, chers amis, lorsqu’à fortiori, ce sont au total 76 prisonniers de la crise postélectorale qui ont recouvré la liberté, entre le 24 décembre 2015 et le 16 janvier 2016, nous devons rendre grâce à Dieu et dire merci à tous ceux ou toutes celles qui y ont concouru. Comme un aveugle qui sait dire merci à celui qui lui tend la main pour l’aider à traverser la route sans se préoccuper ni de la couleur de sa peau, ni de son parti politique, encore moins de sa religion, nous avons l’impérieux devoir de savoir dire merci en pareille circonstance.
A cet égard, nous, ex-détenus de la crise postélectorale, voudrions exprimer notre profonde gratitude au Chef de l’Etat, S.E.M. Alassane Ouattara qui, après avoir pris l’engagement solennel d’œuvrer au cours de son second mandat, à la pleine réalisation de la réconciliation dans notre pays lors de son discours d’investiture le 3 novembre 2015 et au cours de sa déclaration du 5 décembre 2015 dès son retour de Paris, a décidé d’accorder, toujours au nom de la réconciliation nationale, la liberté aux détenus de la crise postélectorale par divers moyens – grâce présidentielle, remises ou cassations de peines, mises en liberté provisoire – à l’occasion de son traditionnel discours à la nation le 31 décembre 2015. Force est de reconnaitre que le Président de la République a commencé à tenir sa parole, et notre devoir est de l’encourager à continuer de l’avant jusqu’à la libération du dernier prisonnier.
C’est le lieu aussi pour nous de dire merci au Gouvernement et aux autorités judiciaires de notre pays, pour ces libérations de haute portée humanitaire et sociale.
Notre reconnaissance va également à l’endroit des Chefs traditionnels et religieux, ainsi qu’à la CONARIV qui n’ont ménagé aucun effort pour favoriser la réconciliation nationale, et qui ont su conseiller le Président de la République lorsqu’il les a consultés.
Nous voulons surtout associer à ces remerciements, toute la Communauté internationale, spécialement madame Aïchatou Mindaoudou, Représentante spéciale du Secrétaire Général de l’ONU en Côte d’Ivoire qui par quatre fois, s’est déplacée à la MACA pour s’imprégner elle-même des conditions de détention des prisonniers, puis aider à l’amélioration de ces conditions. A tous ses collaborateurs de l’ONUCI, nous disons merci. Nous n’oublions pas le Nonce Apostolique, Mgr Joseph Spiteri qui lui aussi, nous a rendu visite en prison.
Nous tenons également à traduire notre gratitude à tous les partis politiques, notamment :
- Le Rassemblement des Républicains (RDR), parti au pouvoir, pour avoir donné le ton de la réconciliation en appelant courant novembre 2015, à la prise d’une Loi d’amnistie générale en faveur des prisonniers de la crise postélectorale ;
- Le Front Populaire Ivoirien (FPI), principal parti d’opposition, qui a constamment marqué sa solidarité à l’endroit des prisonniers et a fait de leur libération, une de ses principales revendications politiques.
- L’Union des Nouvelles Génération (UNG) pour sa solidarité agissante et régulière envers les détenus et leurs familles ;
- Le CAP-UDD dont le Président-Fondateur, M. Gervais Coulibaly, a joué et continue de jouer avec efficacité et discrétion, un important rôle de facilitateur auprès du Gouvernement pour la mise en liberté provisoire des prisonniers de la crise depuis 2011.
- L’AIRD pour ses dons divers aux prisonniers ;
- La Coalition Nationale pour le Changement (CNC) pour tout son soutien.
Nous ne saurions ne pas saluer, la presse nationale et internationale, qu’elle soit écrite, audio-visuelle ou en ligne pour avoir été notre voix, nous qui étions sans voix dans les geôles ivoiriennes.
Nous disons enfin merci aux organisations des Droits de l’Homme, aux associations des familles des détenus de la crise postélectorale, en particulier au COFED et à l’AFFDOCI, et à toutes les bonnes volontés d’ici et de la diaspora, pour leur soutien de tous les jours et leur contribution à notre libération.
Mesdames et messieurs, comme vous le voyez, notre joie est grande, mais elle n’est malheureusement pas parfaite ! Car en dépit des libérations évoquées ci-dessus, il reste encore à ce jour dans les prisons ivoiriennes et au Libéria voisin, 312 personnes encore détenues, parmi lesquelles seulement 54 ont été jugées et condamnées, 258, soit le plus grand nombre d\'entre eux, sont en détention préventive depuis près de 5 ans !
Aux premiers rangs de ceux-ci, l’ex-Première Dame Simone EHIVET-GBAGBO, les anciens ministres Moïse Lida Kouassi, ASSOA ADOU et OULAYE Hubert, le Secrétaire Général de l’UNG, AYEKPA DAGO Dénis, des Cadres de l’opposition, BAI Patrice, EHIVET Simon-Pierre, des leaders de jeunesse de l’opposition ou de la société civile, Justin KOUA, Alain Zagol Durand, Nestor DAHI, GNAORE Achille, SAMBA David, Constant BEUGRE, pour ne citer que ces derniers.
A coté de ces personnalités politiques, subsistent de nombreux détenus militaires notamment, les Généraux DOGBO BLE Bruno et VAGBA Faussignaux condamnés à de lourdes peines de prison, ainsi que les Colonels ABY Jean, KATE GNATOA et OHOUKOU MODY, les Commandants KIPRE YAGBA, ABEHI Jean Noël et SEKA SEKA, le Commissaire de Police OSEE LOGUEY ainsi que de nombreux gendarmes, policiers et militaires.
Nous avons une pensée particulière pour les grands malades qui séjournent encore en prison. Au nombre de 39, ils présentent de nombreuses pathologies : infection pulmonaire, tuberculose, hypertension artérielle, baisse de l’acuité visuel, crises de folie, etc.
Nous ne saurions oublier le jeune SEPO Alain, journaliste et activiste pro-Gbagbo, écroué depuis plus de 7 mois à la MACA en dépit du handicap physique qu’il présente.
Enfin, nous pensons à ces centaines de jeunes inconnus du grand public. La tragédie de leur histoire se confond avec une longue période de détention depuis le déclenchement de la crise postélectorale en 2011. S’ils ne sont pas élèves ou étudiants, ils étaient généralement sans emploi ou à la recherche d’un premier emploi lorsqu’ils se sont retrouvés dans les spirales des prisons. Qu’ils s’appellent DAGO Wilfried, DOGBA ABALE Joseph, ADOU Etienne, AGNES FRED, ZIZA KAKA Jean Louis, DJEKOURI Aimé, YODE OZI NATHANAEL, Koffi Dazeli Maurel, ZOKOU Kevin ou BOUGUHE GNAPY ARSENE, qu’ils soient condamnés ou pas, tous ces jeunes aspirent à la liberté et à la paix !
Mesdames et messieurs, au vu du sombre tableau qui précède :
- Vu les souffrances des détenus et de leurs familles disloquées, et désemparées comme souligné en début de propos,
- Considérant l’urgence de sauver des vies au nom de la réconciliation nationale ;
- Considérant la nécessité de taire les rancœurs au nom de la cohésion sociale ;
Nous, Collectif d’ex-détenus appelons à la reprise et à la poursuite des libérations des prisonniers de la crise postélectorale, jusqu’au dernier d’entre eux, dans les meilleurs délais.
Nous recommandons à cet effet :
- des non lieux pour ceux qui le meritent.
- des libertés provisoires pour tous ceux qui sont en cabinet ou en instance de jugement.
- une rémission totale du reste des peines pour ceux ayant déjà purgé un certain nombre d’années en prison.
- Comme le dit l’Ecclésiaste, il y a un temps pour la guerre, et un temps pour la paix. Nous croyons, qu’avec le vent de libération en cours, le temps de la paix est véritablement arrivé.
Nos regards se tournent à nouveau vers le premier Citoyen de ce pays, le Président de la République, à qui nous réitérons nos sincères remerciements, et encourageons à aller jusqu’au bout de son engagement en aidant à libérer tous les prisonniers de la crise postélectorale.
A cet effet, nous demandons à rencontrer les autorités gouvernementales, notamment Monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, et Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, et Madame le Ministre des Droits de l’Homme et des Libertés publiques à qui du reste, nous adressons nos vives félicitations pour leur brillante nomination dans le dernier Gouvernement.
A tous les démocrates et à tous les hommes épris de justice et de paix, nous vous invitons à vous joindre à nous pour la libération des prisonniers de la crise postélectorale car impunité et justice pour tous d’accord, mais humanisme et réconciliation nationale d’abord !
C’est notre démarche et nous sommes persuadés qu’elle est digne !
Dieu bénisse la Côte d’Ivoire,
Je vous remercie.
Fait à Abidjan, le 18 janvier 2016
Pour l’ex-Bureau du Collectif des Détenus de la crise postélectorale
Le Porte-Parole
DOGO D. Raphaël