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La région du N’zi avec pour chef-lieu de région Dimbokro est en proie à une folle affaire d’eau polluée. Populations et autorités pointent un doigt accusateur sur les orpailleurs clandestins qui ont, aujourd’hui pignon sur rue dans la région. L’inquiétude dans les ménages est réelle et même grandissante.  Notre reporter est allé sur le terrain à Dimbokro.

Les populations du N’zi, notamment celles situées en bordure du fleuve ont le sommeil troublé depuis le changement de la couleur de l’eau du robinet servie dans les ménages. Une situation qui crée la psychose générale au sein des populations de la ville de Dimbokro et dans de nombreux villages environnants. Tels Booré, Brouahoussoukro, Djangokro et bien d’autres villages et campements situés sur l’axe Dimbokro-Bocanda.

L’origine de la transmutation  

Angoissé par l’ampleur du problème, Coulibaly Alamoussa, secrétaire général  de l’Union des jeunes de Dioulakro tire la sonnette. « Depuis notre naissance à Dimbokro, c’est la première fois que nous voyons cette couleur de l’eau. Souvent, quand il pleut assez, la couleur de l’eau du fleuve N’zi peut changer. Mais depuis un certain  temps, il ne pleut pas. Et c’est surprenant de constater ce changement. Nous prions pour ne pas qu’il y ait des cas graves ».  Puis de poursuivre : « A voir déjà la couleur de l’eau, c’est effrayant. En observant, même à l’œil nu, on sait qu’il peut avoir des incidences sur la santé à la longue », déplore-t-il. La situation est mal digérée par Alamoussa. Qui ne passe pas par quatre chemins pour dénoncer les auteurs de la supposée pollution de l’eau du fleuve N’zi. « On n’a pas eu besoin des spécialistes pour comprendre l’origine. Ce sont les orpailleurs clandestins qui travaillent dans le village de Booré et environs qui sont à l’origine du problème », accuse-t-il. Le chef du village de Dioulakro, un quartier de la ville de Dimbokro, Sangaré Lassina, ne dit pas le contraire. « Ce sont les éternels chercheurs d’or clandestins qui utilisent des produits toxiques tels que l’acide sulfurique qui ont provoqué la  transformation de l’aquarelle du fleuve. Après un mélange de produits avec d’autres, le reste est jeté dans le fleuve qui est notre la principale eau potable que nous consommons», plaint l’ex-adjoint au maire. L’Union de la jeunesse de la commune de Dimbokro (Ujecodi), avec à sa tête Franck Hervé Konan s’inquiète de la peur-panique qui règne dans cette région commerciale qui abrite  plusieurs vestiges du temps colonial. Notamment le pont ferroviaire sur le fleuve N’zi. « Nous sommes témoin de la couleur de l’eau qui a véritablement changé.  Nous avons peur. On ne sait pas ce que cela peut provoquer à la longue. II faudrait que la Sodeci (ndlr : Société de distribution d’eau de Côte d’Ivoire) et l’Etat prennent leurs responsabilités. Il faut vraiment traiter l’eau du N’zi. Il y a trop de silence face à la situation, nous sommes inquiets », fustige le premier responsable en charge de la jeunesse. Un détour en bordure du cours d’eau présumée souillée, nous met face à la réalité. L’eau du fleuve N’zi vue il y a de cela quelques mois, n’a plus sa couleur incolore. L’on s’aperçoit néanmoins que les activités ne manquent pas sur la rive  située à quelques encablures des habitations, des pâturages de bœufs et des jardinières. L’eau jaunâtre qui ruissèle sous le pont ferroviaire ne trouble point la quiétude des laveurs d’habits et de la ribambelle d’enfants, préoccupés par la nage. Le changement de couleur de l’eau ne préoccupe guère ces enfants. Quelle insouciance! Malgré la décrue de cet affluent (la dernière pluie date selon les riverains de décembre dernier), le N’zi reste toujours la source d’approvisionnement en eau de nombreux ménages. « Je ne bois pas l’eau du N’zi. Mais je l’utilise régulièrement pour la lessive et la vaisselle », soutient Betty K., une ménagère aperçue en bordure, en pleine lessive. Tout comme cette dame avoisinant la quarantaine, un groupe d’enfants se la coule douce. Fatoumata et ses sœurs venues du quartier Dioulakro prennent à tour de rôle leur bain.  On les voit se frotter le corps avec des éponges savonneuses. Des seaux d’eau et des bassines bien remplis d’eau ne passent pas inaperçus. Après leur toilette au bord, en pleine canicule, ces petites filles avancent qu’elles retournent à leurs domiciles respectifs pour approvisionner leurs familles en eau du n’zi. Selon ces fillettes, ces eaux puisées serviront à faire la lessive et la vaisselle à la maison. « Je ne sais pas pourquoi les parents laissent faire leurs enfants face à ce problème.  Je pense qu’ils doivent empêcher les enfants de se rapprocher de l’eau ne serait-ce que du fait du changement de couleur. Les femmes se gardent d’utiliser directement l’eau du N’zi. Vu que sa qualité n’est pas présentable, il faut aller en amont », indique l’ex-adjoint au maire, Sangaré Lassina. Jusque-là, le problème évoqué semble ne pas perturber certains habitants économiquement faibles qui vraisemblablement n’ont pas les moyens pour s’offrir l’eau minérale. « On n’a pas tous les moyens de s’offrir l’eau minérale. Ce n’est pas évident d’en acheter. Beaucoup de personnes n’ont pas les moyens de le faire même si elles sont conscients des dangers auxquels elles sont exposées », explique Alamoussa, habitant un bas quartier de la ville. Face à la psychose qui enfle au fil des jours, les autorités locales ont été approchées.

Les autorités impuissantes

Informées du cas préoccupant, les autorités locales multiplient les actions pour résoudre le cas des orpailleurs dont le nombre ne cesse d’accroître d’année en année. Le président du conseil régional du N’zi, N’guessan Koffi Bernard confirme la présence des orpailleurs clandestins chassés à maintes fois de leurs sites par la gendarmerie. Mais qui reprennent leurs activités, aussitôt le départ des gendarmes. En réalité, ces orpailleurs  sont libres de toute activité. « Je ne peux pas ne pas être informé. L’orpaillage clandestin est une réalité. En allant sur Bocanda, il y a Booré Akpokro, Brouahoussoukro, où la population a triplé du fait de l’orpaillage. Au début, cela causait moins de problèmes. Mais depuis quelques temps, l’eau de robinet a changé de couleur. Nous pensons que c’est dangereux. Personnellement, je ne peux rien faire. Ici, nous avons le préfet de région. Il a été saisi au cours d’une réunion. Il est en train de prendre des dispositions. La solution est à la base ». Et de poursuivre : « Aujourd’hui, c’est dans la région du N’zi. C’est malheureux ! En laissant cette situation, il y a aura certainement des conséquences désastreuses à l’avenir. L’Etat sait très bien les conséquences de ce problème. Que l’Exécutif prenne ce problème à bras-le-corps pour qu’on dégage ces orpailleurs. D’ici quelques années, nous n’aurons même plus de culture pour nous alimenter », s’inquiète le président du conseil régional. Un aveu qui ne rassure pas les populations quant à la consommation de certains aliments provenant  de ce fleuve à eau jaunie par les trafiquants d’or basés à Booré et autres zones aurifères de la région. « Nous constatons cette situation avec amertume quand les gens vont pêcher. C’est le poisson que nous consommons. On n’a aucune preuve pour témoigner que des pathologies sont liées à ce fléau. L’eau est utilisée pour irriguer les plantations en bordure », souligne Alamoussa. En bon samaritain, le conseil municipal  chapeauté par Bilé Diéméléhou est à pied d’œuvre pour mettre fin à l’activité illicite des trafiquants d’or. « Nous sommes des enfants de la région. Nous savons que beaucoup de choses se font sur le fleuve N’zi. Le fleuve, une richesse de la région, est menacé de pollution. Les poissons, semble-t-il,   commencent à fuir nos eaux. Nous avons essayé d’interpeller les orpailleurs. Nous avons informé le préfet de région. Le fleuve vient de loin, on essaie de s’organiser face à cette situation qui ne profite à personne. Il faut approvisionner nos villes en poisson pour que pendant un certain temps, les populations ne consomment pas les aliments du fleuve comme nourriture. Nous songeons à protéger nos parents. Le ministre des Ressources animales et  halieutiques a été saisi. Des grands moyens vont être déployés », a fait remarquer le premier magistrat de la commune de Dimbokro. 

Aucune pandémie signalée

Malgré la gravité du problème évoqué, l’hôpital général de Dimbokro n’a pas encore enregistré des pathologies liées à la mutation de l’eau de robinet et du fleuve N’zi. Selon le directeur de ce centre médical, docteur Inza, il n’y a pas le feu en la demeure. « C’est la Sodeci qui est habilitée à apprécier la qualité de  l’eau. Les gens ont leur habitude. Je n’ai pas encore reçu de cas de pathologie liée à cette affaire », a rassuré le spécialiste en santé. Idem pour N’guessan Koffi Bernard., le président du conseil régional du N’zi. « Je ne peux pas vous confirmer qu’il y a eu des décès. Je sais que cela a eu un impact sur l’eau de robinet qui provient du N’zi », a-t-i réagi.  Le maire Bilé Diéméléhou soutient mordicus qu’aucun cas de perte en vie humaine n’a été signalé. « Aucun cas de décès pour le moment. Si c’était aussi nocif que cela, je pense que la Sodeci et le ministère en charge de cette question auraient pris des dispositions ». Malgré la psychose, les populations ne se tournent pas les pouces. La ville est en mouvement. Le commerce bouge. Les noctambules se préparaient à prendre part au spectacle humoristique baptisé « Bonjour 2018 » qu’offrait aux populations, le samedi dernier à la place Sitarail par le maire Bilé. L’ex-adjoint au maire, Sangaré Lassina, prévient : « Il est difficile de boire l’eau brute. On assiste impuissant à ce phénomène qui peut avoir des conséquences fâcheuses. Les autorités doivent réagir en convoquant les auteurs pour éviter un empoissonnement. Avant l’avènement de ce fléau, l’eau n’était pas comme cela », martèle ce chef de quartier qui attend des mesures qui rassurent.

Des solutions en cours

Le conseil régional ne se propose pas en premier secours. Structure de développement, le conseil  a pour mission, l’épanouissement des villages des départements et des sous-préfectures. « C’e n’est pas à nous d’interdire les orpailleurs de mener leurs activités. Pour engager des actions, il faut que cela soit inscrit au programme triennal. Même les élèves abandonnent les cours pour rejoindre les orpailleurs clandestins. C’est grave. Il y a une opération d’envergure à mener qui relève des autorités. Des actions vigoureuses doivent être menées au niveau de l’Etat. Nous tenons des réunions pour ce cas. Nous avons reconnu que c’est une action dangereuse », explique le président du conseil. Contrairement au conseil régional, la mairie a tenu son conseil municipal, le samedi dernier. Des mesures palliatives sont en cours en vue de traiter au mieux la question de l’orpaillage clandestin au profit des populations. « La meilleure solution est d’arrêter l’orpaillage clandestin. Nous envisageons la création d’une usine d’orpaillage. Il y aura la formation d’un fils de la région qui ira faire un stage de trois ans au Portugal dans le cadre d’un jumelage entre ce pays et nous»,  a promis le maire. Notre démarche auprès de la Sodeci locale est restée vaine.  Le moins qu’on puisse dire est de trouver une solution urgente pour mettre les populations à l’abri d’une pandémie. Car, comme le dirait Koanté Erika, miss 2017 du N’zi et par ailleurs 1ère dauphine nationale : «  Si le fleuve est pollué, la population est exposée à certaines maladies et dangers. Les enfants qui vont jouer et les pécheurs seront exposés à des pathologies. La question mérite d’être traitée avec vigueur avant que le pire ne produise», avertit cette égérie de la beauté du N’zi.

ADN.

Envoyé spécial