Côte d’Ivoire : « Le pouvoir vante son bilan mais il refuse la transparence, au profit de l'opacité »
L'ÉTAT DE LA NATION. La Côte d'Ivoire se prépare à un important rendez-vous électoral. Et au fur et à mesure que les jours approchent, le pays se place devant le miroir pour se jauger et apprécier diversement l'état de sa nation.
Le miroir joue, en effet, des tours. Associé à la beauté ou à la séduction, le miroir se révèle un bon objet narcissique. C'est pourquoi, le 18 juin 2024 devant le Congrès réuni pour l'occasion, Alassane Ouattara a brossé le tableau d'un pays au bord du paradis terrestre (photo d'illustration).
Sur toute la ligne, il n'y a aucune fausse note et le pays roule au super. La Côte d'Ivoire a été présenté comme un eldorado, qui connaît un progrès jamais égalé. Et, même s'il fait durer le suspense, cela vaut, sans aucun doute, plusieurs autres mandats présidentiels, comme Ouattara l'a dit à l'inauguration, le 12 août 2023, du 5è pont d'Abidjan portant son nom.
Et les ovations et acclamations des militants et partisans, face à cette embellie et ce "bilan inattaquable", fusent de partout dans des manifestations de soutien et d'adhésion.
Mais, il y a le revers de la médaille. Le reflet flatteur et le meilleur jour montés en épingle cachent difficilement un tableau aussi peu reluisant. La réalité rattrape les campagnes de saupoudrage et les pommades.
Le pays a connu des performances économiques incontestables, mais elles sont très inégalitaires. Alors qu'il réalise des taux de croissance de 6 à 7%, il recule dans l'Indice de développement humain, passant de la 159è place en 2023 à la 166è place sur 193 pays du monde en 2024. Plus le pays s'enrichit, plus la population s'appauvrit.
Pis, avec le Sénégal et l'Éthiopie, la Côte d'Ivoire caracole en tête des pays africains où le coût de la vie, malgré les fonctions polynominales, est le plus élevé. Ce n'est pas tout. De 2022 à 2023, le nombre d'Ivoiriens, bénéficiant d'un centre de santé sis à moins de cinq kilomètres de leur lieu de résidence, est en baisse : il est passé de plus de 75% à 72%. Tout dégringole au plan social alors que la dette atteint le montant de 30.000 milliards de nos francs, en 2024.
Au plan politique, la situation, confuse et incertaine, n'est pas meilleure. Le pays évolue officiellement sous la bannière de la démocratie, mais il flirte avec la marque des régimes autocratiques. Ainsi, s'il reste une puissance économique sous-régionale, il se découvre un nain démocratique, qui foule aux pieds les règles de l'État de droit.
De ce fait, l'éligibilité de son président ne cesse pas d'être au centre de la polémique. Candidat, en 2010, "à titre exceptionnel pour ce seul scrutin" pour "nationalité douteuse", à l'effet de contenter la rébellion armée, il a été installé par la puissance des bombes françaises.
Il a brigué la magistrature suprême, en 2015, "par dérivation", sans répondre aux critères d'éligibilité, et en 2020, "par effraction", selon ses adversaires, parce tous autour de lui, du ministre de la Justice aux responsables du comité de rédaction du projet de Constitution de 2016, ont soutenu qu'il ne pouvait pas briguer un troisième mandat.
Pendant ce temps, le processus électoral est malmené. Le pouvoir vante son bilan mais il refuse la transparence, au profit de l'opacité. Le découpage électoral est sujet à caution. Le régime en place reste sourd à la réforme de la Commission électorale indépendante (CEI), prise en otage. Pour sa défense, il objecte que ce n'est pas cet organe électoral et ses démembrements, tous sous son contrôle, qui votent.
Mais, il le sait. "Ceux qui votent ne décident de rien. Ce sont ceux qui comptent les votes, qui décident de tout," avertissait Joseph Staline. Partageant cette pensée, le pouvoir ivoirien multiplie les obstacles. Alors qu'au Sénégal, les résultats de la présidentielle du 24 mars 2024 ont été connus le même jour, sans aucune réclamation, il faut cinq jours en Côte d'Ivoire. Et il est interdit à toute personne ou structure, en dehors de la CEI, de diffuser même des estimations.
Avec ce retard à l'allumage voulu, le pays accumule des mauvais points en démocratie. Aussi, les opérations électorales, comme la cartographie et la révision des listes, sont-elles bâclées ; organisées qu'elles sont dans la précipitation et l'improvisation.
De ce fait, les listes électorales sont tellement truffées d'anomalies qu'un audit, refusé, s'impose, car plus de deux millions de personnes ne méritent pas d'y figurer. Sans compter qu'alors que la loi fait obligation de reviser, chaque année, la liste électorale, le président de la CEI s'autorise impunément des libertés et use, selon lui, de son intime conviction pour exécuter cette obligation à cheval sur les années.
Le résultat est, par conséquent, catastrophique au regard des indicateurs de certains pays de la sous-région. Au Ghana, il y a eu 16.963.390 électeurs en 2020 pour 32,8 millions d'habitants, soit 51,71%. Au Sénégal, 7.371.854 électeurs pour 18.126.390 habitants, soit 40,66%.
La Côte d'Ivoire, qui talonne le Ghana au plan démocratique, fait grise mine: 8.016.796 électeurs recensés en 2023 pour une population de 29.580.554, soit 27,10%. Avec des candidats ainsi élus par une minorité, surtout que le vote n'est pas obligatoire et que bien souvent c'est l'abstention qui est le vainqueur, les scrutins ivoiriens souffrent de représentativité et de crédibilité démocratiques.
Une contribution de F. M. Bally