Côte d’Ivoire / Archevêque Kassi d’Azito : « Les leaders chrétiens doivent comprendre qu’il est temps de se mettre ensemble »
La relation entre les Eglises évangéliques de Côte d’Ivoire et l’Etat ivoirien n’est pas celle que souhaitent les leaders chrétiens. Ceux-ci restent convaincus qu’une rencontre avec la tutelle est nécessaire pour aplanir certaines incompréhensions. Le porte-parole du Conseil pastoral et président de la Confédération des Eglises de Côte d’Ivoire, l’Archevêque Kassi d’Azito se prononce sur le sujet et lance un appel à la communauté chrétienne, dans cet entretien.
Le 1er octobre dernier, vous avez mobilisé vos collègues pasteurs lors d’une rencontre avec la tutelle au Plateau. De quoi s’agit-il ?
Effectivement mais avant tout, permettez-moi de dire à la communauté chrétienne et à ses présidents qui ont pris part à la rencontre du Plateau, ma reconnaissance. Je viens vers eux pour leur dire merci pour leur soutien surtout pour leur détermination à mettre l’Eglise dans une position réelle afin qu’elle puisse jouer le rôle qui lui est dévolu. Pas seulement les pasteurs, toutes les obédiences qui étaient représentées à cette rencontre pour nous soutenir dans notre lutte, cette manière de rappeler à l’Etat que l’Eglise existe. Et qu’il faut qu’il nous fasse un clin d’œil pour qu’ensemble, main dans la main, nous puissions bâtir cette Côte d’Ivoire nouvelle.
Qu’est-ce qui a poussé subitement l’Eglise à se lever contre l’Etat ?
Ce n’est pas une lutte contre l’Etat mais une façon de dire à l’Etat que nous existons. L’Etat est notre interlocuteur, l’organe qui régule avec son pouvoir régalien et qui prend les décisions pour la bonne marche de la nation. Par moment, nous sommes obligés de lui dire que nous sommes là, nous avons des préoccupations. C’est une sorte de doléance et non un combat contre l’Etat. C’est pour cela que nous disons merci au président de la République, au ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de la sécurité qui bien qu’il a été empêché, a été représenté. La Côte d’Ivoire est une nation assez spéciale. Et pour diriger ce pays, on n’a pas besoin d’un patron. Même l’Eglise n’a plus besoin d’un patron. La Côte d’Ivoire a besoin d’un leader. Du point de vu étatique, on a besoin d’un manager. Et le président Ouattara est un manager. Ses actions et les résultats qu’il obtient, démontrent que c’est un manager. Il a besoin qu’on lui apporte notre grain de sel à ce grand travail qu’il abat. Nous avons remarqué que nous sommes tombés un peu dans les oubliettes. Alors que nous avons des points spécifiques à nous.
Quels sont ces points spécifiques?
Par exemple j’ai parlé du système d’exonération au niveau des droits de douanes sur les achats et les équipements de biens pour servir l’Eglise. Par exemple si je suis en train de construire un temple et qu’on me fait des dons en carreaux ou en matériels de sonorisation en Europe, il faut bien qu’il y ait une facilité au niveau de la douane à Abidjan ici parce que ces dons viennent pour l’Eglise. On veut tous participer à la construction de ce pays mais là où l’Etat peut nous aider, qu’il nous aide. J’ai parlé aussi de lieu de culte. Depuis un moment on n’a plus d’agrément sous prétexte que les Eglises qui demandent des agréments ne sont pas situées sur des sites réservés aux cultes et que cela provoque des nuisances sonores. Souvent cela amène à la fermeture de certaines Eglises. C’est pour tout cela qu’on veut une plateforme avec notre tutelle pour échanger afin de trouver des solutions durables à ces problèmes. Il y a également l’appui à la formation théologique parce que nous avons constaté que dans notre milieu, tout le monde se lève pour dire qu’il est pasteur. Il n’a aucune formation, n’est soumis à aucune éthique ni déontologie. Que l’Etat nous aide à savoir qui est pasteur, qui fait quoi pour éviter certains désagréments que nous connaissons parfois dans notre corporation. Vous avez constaté l’interdiction des Eglises à la télévision. Si dans une corporation, une ou deux personnes se comportent mal, il faut sanctionner ces personnes pour que les autres prennent conscience. Si on se base sur le comportement de deux personnes pour fermer la télévision à toute une corporation, ça fait peur. Voici un certain nombre de sujets sur lesquels on veut bien échanger pour éviter les soupçons ou les mauvaises manières d’interpréter les choses. Il faut que les choses soient claires. Il ne faudrait pas que des gens s’amusent à prendre de l’argent au nom de l’Eglise et faire croire que l’Eglise est divisée, qu’elle n’est pas organisée. L’Eglise n’est pas divisée.
Mais il y a eu des cas où des pasteurs ont pris de l’argent pour des pèlerinages et puis après c’était devenu des problèmes. On a déjà vu ça ici…
Quand le système n’est pas organisé, et que je prends une bible et je dis que je suis pasteur alors que je n’ai même pas une cellule ou une église, personne ne me contrôle. Voilà d’où vient le problème.
Par deux fois vous avez cherché à rencontrer la tutelle sans succès, est-ce que vous êtes déçus ?
Je ne suis jamais déçu. Cela n’est pas dans mon langage, je suis un leader charismatique. Je continue mon travail. J’ai espoir que le ministre de l’Intérieur, notre frère Hamed Bakayoko qui a fait venir des gens importants à notre rencontre, aura un compte rendu fidèle. Si le ministre n’est pas d’accord avec ce qu’on fait, il n’allait pas envoyer son conseiller politique le représenter avec deux directeurs de son cabinet. Je pense qu’il disposera d’un peu de son temps pour nous recevoir, je connais l’homme. Il viendra et on parlera.
Mais ne voyez-vous pas que la mésentente entre vous peut vous être défavorable ?
Je pense que les leaders de la communauté chrétienne dans leur ensemble, doivent comprendre qu’il est temps de se mettre ensemble. Ce qui se passe actuellement n’est pas une affaire de fédération ni de président. C’est une vision. Moïse n’a pas créé d’association quand Dieu l’a appelé pour aller libérer le peuple de la main de Pharaon. Si quelqu’un a une vision dans l’intérêt d’une communauté, humblement nous devons soutenir cette action pour qu’au bout de l’effort, nous puissions dire « Dieu merci ». Que les gens ne se disent pas « moi je suis président de telle ou telle fédération ou association, donc je ne suis pas dans leur affaire » ou encore « pourquoi on ne m’a pas mis devant ». C’est la plus grande sorcellerie. Que les gens arrêtent ça. Les gens veulent se faire patron, je ne suis pas dans cette vision de patron. Je suis en mission pour l’Eglise de Jésus Christ pour permettre à l’Eglise de Côte d’Ivoire de jouer son rôle, pour accompagner le pays dans sa quête de paix, de réconciliation, de vivre ensemble, de normalisation et de lutte contre la pauvreté. Nous pouvons contribuer à toutes ces choses-là. Aujourd’hui, on nous parle de référendum, de nouvelle constitution. Si l’Eglise est organisée, nous pouvons accompagner l’Etat par rapport aux principes de Dieu. Pour dire aux frères Ivoiriens, « là où nous sommes arrivés, voilà ce que l’Eglise propose ».
Vous n’avez pas peur qu’on vous accuse de faire de la politique ?
Non, l’Eglise ne s’ingère pas dans la politique. L’Eglise existe dans une nation. Quand on va voter la constitution, elle engage tous les Ivoiriens et tous ceux qui habitent en Côte d’Ivoire. L’Eglise ne vient pas pour dire « votez oui ou non ».Nous ne sommes pas là pour ça. Mais nous pouvons contribuer à la rédaction des textes. Pour que dans leur interprétation, tout le monde se sente à l’aise et y voit son intérêt. Face à cette situation d’ailleurs, je demande à l’ensemble des Ivoiriens et à la Côte d’Ivoire chrétienne, de prier, prier et de prier pour que Dieu mette sa main sur la nation, pour que tout se passe bien pour le bonheur de la nation et du peuple ivoirien. J’appelle l’Eglise de Côte d’Ivoire à la prière.
Interview réalisée par A.K.