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Passionné du ballon rond, la légende vivante de l’Asec Mimosas dans les années 70 retrace son histoire et son brillant parcours au sein du club ‘‘jaune et noir’’ et des Eléphants de Côte d’Ivoire.

 

 

Pouvez-vous nous retracer votre parcours de footballeur ?

 

Manglé Eustache, je suis né le 20 septembre 1946. J’ai fait mes études secondaires au lycée de Cocody. Et j’ai commencé ma classe de 4ème au lycée de Bouaké. Je n’ai pas pu faire long feu dans cet établissement. J’ai été ramené au lycée de Cocody puisque le Stade d’Abidjan avait besoin de mes services. Au Stade, j’ai fait seulement un an. Après, je me suis rendu compte que ce n’était pas le club de mon cœur, donc je suis reparti pour rejoindre l’Union sportive de Bouaké en 1963 et en 1964. Je suis revenu à Abidjan pour jouer à l’Asec Mimosas. C’est là que commence véritablement ma carrière de footballeur. J’ai été appelé en équipe nationale en 64 pour la première fois par Bissouma Tapé. C’est ce Monsieur qui a encadré l’équipe nationale de l’époque. J’ai fait ma première sélection contre l’équipe du Libéria. Lors d’un tournoi entre la Côte d’Ivoire et le Libéria et lors de cette rencontre, j’ai inscrit trois beaux buts. De 1964 jusqu’à 68, j’étais titulaire à part entière dans la sélection. J’ai aussi fait mes armes dans plusieurs compétitions internationales, tels que les Jeux de Brazzaville au Congo. Lors de la Coupe d’Afrique des nations (Can) en 1965 où il y avait huit équipes, nous avons été classés 3ème. Il y avait le Ghana (vainqueur de la coupe, la Tunisie et le Sénégal...

 

Pourquoi le surnom le ‘‘Lion’’ ?

 

Le Lion, c’est parce que j’avais la rage de vaincre. Quand je suis sur le terrain, je ne peux pas me permettre de perdre le match. Quel que soit l’adversaire, il faut que mon équipe gagne. Je me battais sans tricher. Je ne donnais pas l’occasion à l’adversaire de développer son jeu. Je me souviens d’un match contre l’Africa sports en 1965. Ce jour-là, les ‘‘Vert et rouge’’ devraient être champions. Nous n’étions même pas concernés par le titre. Mais, je voulais, ce jour-là, battre à tout prix l’Africa sports. Et j’ai atteint mon objectif en inscrivant un magnifique but contre les ‘‘Aiglons’’. Les supporters ont scandé d’une seule voix : « Le Lion ». C’était vraiment formidable !

 

 

Quel autre souvenir gardez-vous de votre passage à l’Asec mimosas ?

 

Ah, l’Asec ! C’est une grande famille. Celui qui m’a poussé à aller à l’Asec, c’est Konan Yobouet. Avec lui, j’ai fait beaucoup de choses. J’ai fait l’école régionale avec lui. Nous avons reçu les hommages mérités de cette école, lors de la célébration de son centenaire. J’ai été honoré par les ministres François Amichia, Kandia Camara et Adama Toungara. J’étais heureux de retrouver l’une de mes institutrices qui a aujourd’hui 96 ans. Leur accueil m’a remonté le moral. J’ai compris qu’on n’a pas vécu inutilement.

 

 

Comment est venue la passion du football ?

 

En tant qu’enfant de Treichville, nous partions jouer des billes à l’Ecole régionale. Après, on a transformé cela en autre chose et on jouait toute la journée. La passion nous faisait oublier qu’il faisait nuit. C’est là que nous avons pris goût au foot.

 

 

Quels sont les joueurs de votre génération qui vous ont le plus marqué ?

 

(Rire). Je vais vous dire que c’était une race de grands joueurs. Des joueurs de qualité qui avaient la rage de vaincre sur le terrain. Je me souviens encore de Déhi Maurice, mort si tôt. Il jouait au Stade d’Abidjan et au poste de deuxième avant-centre en équipe nationale. Il y avait aussi Zadi Georges, Brisili, Laurent Pokou (qui est venu nous trouver en 65). Il y avait Kallet Bialli qui était un excellent milieu avec Moh Emmanuel. L’équipe nationale était composée de Konan Henri (le capitaine), remplacé dans ses fonctions par Sery Wawa à cause d’une sanction lors d’une mise au vert à Dimbokro. Il était sorti se balader avec certains joueurs. A leur retour, le coach l’a demis de son rang de capitaine. Et confié le capitanat à Wawa. On avait aussi Mathias Diagou qui jouait sur le côté droit. A gauche, Idriss et au milieu Zadi François, Kalet Biali jouait le rôle du milieu récupérateur. Le numéro 7 était Gnahoré dit Patchéco, je portais le numéro 9, Sylla Mamadou avait le 11et le n°10 était Zadi François.

 

 

Les parents étaient-ils d’accord avec votre choix ?

 

Jamais ! Mes parents, surtout ma mère, s’est farouchement opposée à ma décision de devenir footballeur. Si je suis allé à Bouaké, c’est parce que ma mère ne voulait pas que je joue au football. J’ai été orphelin de père, très tôt. Ma mère ne voulait pas me perdre aussi. Elle s’est opposée par tous les moyens possibles. Avant, tous les lycées étaient des établissements d’orientation. On pouvait facilement nous envoyer, soit au lycée classique, soit au lycée technique ou à Bouaké. C’est ainsi qu’un matin, ma mère m’a envoyé de force à Bouaké où j’ai fait la classe de 4ème. A cette époque, il y avait un jeune du nom de Kamelan Brou, il est de Binao. Il est maintenant directeur régional. Il a été mon meilleur compagnon à Bouaké. Il ne me lâchait pas du pied. Jai connu un ami au collège moderne du Plateau qui a été par la suite assassiné. Il se nommait Kouassi Koffi André.  Lui aussi, il m’a beaucoup apprécié.

 

 

Combien de trophées avez-vous remportés avec l’Asec ?

 

On a gagné, deux fois, la Coupe nationale et on a été cinq fois champions de Côte d’Ivoire. Malheureusement, nous n’avons pas pu avoir une coupe inter africaine. Cela m’a vraiment fait mal dans ma carrière. Même à l’équipe nationale, c’est le même sort qui nous était réservé. On a joué trois phases finales et rien remporté. Nous avons joué une finale en Tunis en 65 et en 68 à Addis- Abbas, en 70 au Soudan. A toutes ces compétitions, les trophées nous ont échappé malgré nos qualités.

 

 

Quel était l’équipe africaine qui vous a beaucoup fatigué ?

 

C’est l’équipe du Ghana, les Blacks Stars. Ils nous ont toujours barré la route des trophées. A cette époque, ils avaient un très bon dirigeant qui  s’occupait de l’équipe de football. Ils nous ont créé de sérieux ennuis. Aujourd’hui encore, ça me fait mal que nous n’avons pas pu remporter une seule coupe africaine avec cette génération dorée.

 

 

Quelles sont relations avec les anciens joueurs de votre génération ?

 

Nous entretenons de très bonnes relations. Ce qui faisait la force de notre équipe nationale, à époque, c’était l’union, l’entente et la solidarité. On est plus qu’une famille, on était des frères. Ce qui m’a le plus marqué, c’est que nous avions la rage de vaincre. On se battait pour la nation. Malgré les maigres primes qu’on nous donnait. On percevait 10 mille Francs Cfa par match. Malgré cela, on ne se laissait pas faire. On pouvait justifier le peu d’intérêt pour le foot parce qu’on avait un Président, Félix Houphouët-Boigny, qui n’aimait pas trop ce sport. Son sport préféré était la boxe. Il n’avait aucun regard sur nous. Il mettait souvent les moyens mais il se désintéressait de la discipline. Il n’a jamais aimé les jeux collectifs.

 

 

Quelles sont vos relations avec le Pca, Roger Ouégnin ?

 

Entre Roger et moi, c’est le lait qui coule. C’est mon petit frère et j’ai confiance en lui. Il a le sens d’un vrai leader et de la famille. Il a hérité du club en 1989, il a beaucoup donné à l’Asec. Roger a donné une chance aux anciennes gloires de l’Asec de créer une amicale qui nous permet, aujourd’hui, de nous retrouver régulièrement. C’est une famille. Nous sommes prêts à  tendre la perche aux supporters.

 

 

Quel était le sentiment qui vous animait lorsque vous battiez l’Africa ?

 

C’était la grande joie. Et le championnat était gagné d’avance. L’Africa était le seul club à nous tenir tête. Des couples étaient divisés à cause des matchs Asec-Africa. De véritables passionnés du football. C’était vraiment formidable de vivre cette époque. Ce que j’ai constaté, c’est que nous n’avons jamais joué les gradins vides. Le stade était toujours plein. Nous jouions à guichet fermé. Des matchs de cette époque équivalaient aux matchs de la D2 française. J’ai vu des Français venir assister à nos matchs. C’était des supporters formidables, le niveau du championnat était très élevé.

 

 

Avez-vous joué en Europe ?

 

Non. Malheureusement, je n’ai pas pu franchir cette étape. Je devrais aller en France pour jouer à Renne par la volonté de Yobouët. Mais à cette époque, j’étais très attaché à ma famille. C’est ainsi que je n’ai pas pu bouger.

 

 

Avez-vous des regrets ?

 

Non. Je n’ai aucun regret puisque le club, étant une famille, je me sentais en sécurité.

 

Après tous ces efforts consentis, avez-vous reçu comme il se doit les hommages de la nation?

 

En toute sincérité, j’ai eu des réconforts de deux présidents de la République : Laurent Gbagbo m’a beaucoup aidé. Il est venu me voir ici dans ma retraite. Le Président Alassane Ouattara a aussi fait beaucoup. Il a permis que chaque ancienne gloire reçoive une pension chaque fin de mois. Je lui dis infiniment merci pour tout ce qu’il fait pour nous. Je lui demande d’augmenter tout juste un peu s’il peut. Mais, il fait déjà beaucoup. Le Président Ouattara s’occupe aussi de ma santé. Ma famille et moi lui sommes infiniment reconnaissants. Je profite de cette lucarne pour lui faire une doléance. Je veux qu’il construise, si possible, un stade omnisport digne du nom à Bingerville ou à Bassam. Je suis convaincu qu’il le fera parce que c’est un Président qui est à l’écoute des populations.

 

 

Vous qui avez joué au haut niveau, quel regard portez-vous aujourd’hui sur le niveau du football ivoirien ?

 

Le football ivoirien est malade. Il a régressé parce que les jeunes talents qui évoluent dans les clubs locaux sont dénichés pour le compte des clubs européens. C’est le seul mal de notre football. Ces enfants ne font même pas leur preuve dans les clubs que déjà ils sont pistés. Sous prétexte que la Fifa protège les joueurs. Ce n’est pas bon. Il faut que la Fif prenne des mesures sur cette question. Il faut que les jeunes gens aient un bon niveau avant d’y aller. Ça me fait très mal. A l’Asec j’ai dit à Roger Ouégnin de stabiliser les résultats. Comme le font les grands clubs tels que le Réal Madrid, Barcelone et autres. L’Asec Mimosas doit être un club immortel. Il faut que le Pca arrive à renforcer l’équipe avec des joueurs de haut niveau qui viendront rehausser l’image du club. Cela permettra à plus de supporters de venir au terrain. Le club aussi doit fabriquer des juniors au sein de l’équipe sénior. Il faut qu’on fasse attention pour le prestige du club. Les supporters, c’est le résultat qui les déplace au stade. Nous allons redynamiser notre Amicale des anciennes gloires afin de continuer à mobiliser les supporters. L’Asec dispose d’un beau stade, normalement les résultats doivent suivre. Mais, c’est le contraire. Ce n’est pas normal. L’équipe a toutes les infrastructures sportives. Roger doit maintenir le cap des grands clubs d’Europe. A l’époque, il y avait de grands clubs en Afrique, mais aujourd’hui, le niveau n’est pas bon. Seule, l’Asec tient toujours le bon niveau. Pour que le football africain reste au top, il faut que les anciennes gloires des pays africains interviennent dans la formation des jeunes.

 

 

Quel conseil pouvez-vous donner à la jeune génération ?

 

Je vais vous dire une chose. Le seigneur a un plan pour tout le monde. Tu peux rester dans ton pays et éclore. Puisque les clubs locaux sont prêts à payer à 600 mille francs Cfa à un joueur local. Aujourd’hui les jeunes ont tout le temps pour évoluer. C’est encore plus intéressant que tu partes en Europe avec un bon niveau. Il faut que les clubs s’organisent à maintenir les jeunes dans un bon standing afin qu’ils ne soient pas aussi tenté. Il est bon de savoir quand un joueur va en Europe bien formé, il gagne plus.

 

 

Que devient aujourd’hui le Lion?

 

Peut-être que Le Lion rugit moins. Mais, il est toujours Lion. Il n’est pas panthère. Je suis toujours là, le cœur gros. Même dans ma rééducation, je suis toujours le Lion. Il y a certaines choses que je fais et qui étonnent ma kiné qui s’occupe de moi. Elle me dit d’aller doucement. Beaucoup d’Ivoiriens  m’avaient enterré, ils me croyaient mort. Mais, je leur dit que le Lion est toujours vivant. Je remercie tous ceux qui me portent en cœur. Ils sont vraiment formidables, les supporters de l’Asec Mimosas. En 1989, lors d’une réunion avec les supporters à Anyama, un supporter a fait savoir qu’il préférait prendre l’argent de la popote pour acheter son ticket pour assister à un match de l’Asec. J’ai dit ce jour-là à Philippe Troussier que les supporters de l’Asec ont droit au respect.

 

 

Que retenez-vous de Philippe Troussier ?

 

J’ai commencé avec Philippe en 1988 en tant qu’entraineur adjoint. Après, je suis allé en France pour une formation en Allemagne. De retour, j’ai continué aux côtés de Troussier qui était un homme de caractère. Mais, en tant qu’adjoint, je le couvrais. Quand un joueur se plaignait de n’être pas sur la liste de match, je couvrais toujours le coach principal. J’ai toujours eu de bons rapports avec Philippe. Il était payé à 7 millions de FCFA quand moi je touchais 200 mille FCFA. Malgré tout cela, j’ai travaillé avec passion. J’ai donné mon dos pour encaisser. Je n’ai jamais eu à cœur de mettre à nu l’entraîneur titulaire. Il ne voulait jamais sentir Abdoulaye Traoré dit Ben Badi. C’est moi qui ai tout fait pour que Ben Badi soit sur la liste. Et Dieu merci, il a prouvé. Ce jour-là, Abdoulaye a inscrit un joli but. J’ai fabriqué plusieurs joueurs sous Troussier : Zaré Mamadou, Gohi Bi Cyriac, Sam Abouo et Bakari Koné, le gardien. J’ai assuré la relève après le départ de Troussier. Nous sommes arrivés jusqu’à en demi finale de la coupe d’Afrique des clubs champions. Au match aller, nous avons battu Ashanti Kotoko ici à Abidjan. Au match retour, nous avons été battus par les Ghanéens par la tricherie. La Fédération ghanéenne avait menti sur nous. Cela me fait mal, parce que nous sommes passés à côté du trophée. J’ai gardé de très bons souvenirs de mon passage à l’Asec Mimosas.

 

 

Vos relations avec la Fif sont-elles au beau fixe?

 

 

En toute sincérité, je n’ai aucune relation avec le président Sidy. Tout ce que je lui demande, c’est de faire confiance aux entraîneurs locaux. Que les dirigeants actuels mettent des moyens à leur disposition afin de leur faciliter le travail.

 

Interview réalisée par

A.H. et A.Z.