2355_zehouri.jpg

Notaire-Conseil titulaire de la 48è Charge près la Cour d’appel d’Abidjan, Maître Zéhouri Paul-Arnaud Bertin est l’un des notaires, sinon le notaire le plus diplômé de l’Afrique francophone subsaharienne. Titulaire du Diplôme Supérieur de Notariat (DSN) obtenu à Paris (France), Maître Zéhouri Bertin dévoile dans cette interview toutes les facettes du métier de notaire, encore méconnues du grand public.


Quand on parle de notaire, à qui se réfère-t-on ?

Un notaire est un officier public qui est nommé par l'Etat dans certains pays directement par décret du président de la République, dans d'autres, par le ministre de la Justice, Garde des sceaux. En Côte d'Ivoire, sa nomination relève du Garde des sceaux, ministre de la Justice. C'est donc un professionnel du droit qui est dédié à l'industrie de la preuve écrite. Le notaire est un magistrat amiable qui siège à la tête d'une juridiction libérale. L'étude notariale est le siège de la juridiction que préside le notaire. Il a une formation universitaire et technique avant d'être nommé pour prêter serment et recevoir la qualité d'officier public qui fait de lui le représentant de l'Etat dans les relations privées, dans les transactions privées entre l'Etat et les particuliers ou entre les particuliers eux-mêmes. Le notaire incarne la présence de l'Etat dans toutes ces transactions qui peuvent échapper à la sagacité de l'Etat; qui peuvent faire prendre beaucoup de risques aux personnes concernées et qui pourraient faire perdre de l'argent à l'Etat puisque nombre de transactions se seraient faites hors la vue de l'Etat. Le notaire donc est cet agent de l'Etat qui est envoyé pour aider ces personnes dans leurs actes quotidiens afin qu'elles ne se trompent pas mais aussi permettre à l'Etat de recouvrer certaines taxes.


Comment devient-on véritablement notaire ?

Comment devient-on notaire, c'est une question à laquelle je répondrai par deux réponses : La première, au sens des Ivoiriens qui, ayant étudié en Côte d'Ivoire, sont devenus notaires. Et la deuxième, au sens des Ivoiriens qui ont étudié à l'étranger. Dans le premier cas, les Ivoiriens qui ont fait l'université, de préférence la faculté de droit, étudient jusqu'à la maitrise de droit. Après obtention de la maitrise de droit, ils ont la possibilité de souscrire à un stage dans une Etude dirigée par un notaire en charge. Lequel stage dure un certain nombre d'années. Officiellement quatre ans de stage suffisent pour déclencher le processus de nomination en qualité de notaire titulaire de charges. Mais généralement, le stage a tendance à s'étendre au delà de 4 ans, du moins jusqu'à ce qu'il y ait des charges créées au sein des juridictions. Ce qui justifie que beaucoup de notaires soient parfois nommés après près de 10 ans de cléricat,  parce qu'ils sont clercs de notaire pendant toutes ces année-là. Il y a un cas qui est le mien qui est celui de ceux qui sont allés étudier à l'étranger. Et là encore il faut distinguer les études. On a des notaires qui ont évolué en Belgique, d'autres en Angleterre ou aux États-Unis ; ce n'est pas très évident parce que le métier de notaire tel qu'il est pratiqué aux États-Unis est très différent du nôtre. En France dont je suis issu, pour être notaire il faut d'abord avoir la maîtrise. La maîtrise en droit mais pas seulement. Vous pouvez être titulaire d'une maîtrise de lettres ou de sciences économiques. L'essentiel c'est de réussir l'examen d'entrée au Centre de formation professionnel. Naturellement la plupart de ceux ou celles qui vont réussir, seront des juristes. Une fois que vous avez réussi cet examen d'entrée, vous avez encore deux ans de formation sanctionnée par une soutenance de mémoire. Ça fait en tout un BAC+6. Une fois que vous avez les diplômes, il reste encore un stage. Le stage est effectué en même temps que les deux années passées en stage de formation. Ce qui fait que vous sortez avec le diplôme de notaire assistant. Vous êtes donc notaire mais pas encore titulaire de charges. Ça c'est la voie professionnelle. Mais il y a la voie universitaire appelée la voie d'élite en France. Celle-là vous conduit après la maîtrise en droit non pas à être reçu à un concours mais à être sélectionné après un dossier dans un 3è cycle spécialement notarial qu'on appelle aujourd'hui le Master 2 notarial. En France, il n'y a qu'une trentaine. Lorsque vous êtes sélectionné, cela veut dire que vous faites partie des meilleurs. Moi, je suis issu de cette formation. Pour avoir droit à ce 3è cycle, il y a une autre année qui se greffe à la maîtrise de droit qu'on appelle année du centre Supérieures d'Etudes Notariales (CSEN). Tout cela cumulé avec la maîtrise. Commence alors deux autres années de stage et de formation pendant lesquelles vous devez justifier votre aptitude. A la sortie, cela vous fait le BAC+8. Après cette étape, il vous reste la quatrième étape qui est l'installation. Soit vous achetez une charge qui coûte très chère soit vous restez employé chez un autre notaire. L'office créé n'exige pas du notaire un dépôt de caution. Voilà le cursus. Evidemment lorsque vous avez fait ce cursus et que vous venez vous installer en Côte d'Ivoire, il est évident que ceux qui ont fait leur formation ici n'ont pas la même lecture que vous. Il peut arriver qu'en Côte d'Ivoire, on vous impose un temps d'adaptation ou de stage, ce qui est normal. Mais en général, le ministère de la Justice n'insiste pas trop sur cette étape. Moi, en tout cas, je n'ai pas été soumis à ce stage. C'est en cela que je me félicite puisque je n'ai pas eu de mal à m'adapter.


Quels sont les différents domaines dans lesquels intervient le notaire ?

Le notaire intervient dans le domaine de l'entreprise et dans le domaine de la famille. Quand on intervient dans ces domaines-là, on peut intervenir aussi dans tous les compartiments de la vie. Le notaire est au début de la création d'une entreprise. C'est le notaire qui au moment de la gestation de l'entreprise, reçoit les futurs associés, les conseillent sur le rôle que chacun aura à jouer au sein de l'entreprise. Dans la vie de l'entreprise, le notaire est encore là pour conseiller, dresser des actes pour servir de preuves et prévenir des conflits. Faire en sorte que, lorsqu'il y a un conflit, qu'il y ait des preuves pour opposer au juge. Autrement dit l'acte écrit et signé du notaire revêt une présomption de vérité absolue. Il intervient lorsqu'il s'agit de fusion, d'attribution, d'augmentation de capital, de réduction de capital, de cession, de location-gérance, de gérance pure ; toutes ces opérations qui peuvent avoir lieu dans la vie d'une entreprise. C'est encore le notaire que la banque va solliciter pour garantir des actes de crédit. Avant la naissance de l'entreprise jusqu'après la mort de l'entreprise, le notaire est là. Pareil pour l'homme. Lorsque vous êtes né. Vous êtes né de deux parents qui ont convolé en justes noces qui se donnent des projets immédiats, à moyens ou à longs termes. Quand le couple va souhaiter acquérir un projet immobilier, c'est encore le notaire qui sera sollicité pour le faire. Vous avez besoin d'un crédit hypothécaire, c'est encore le notaire qui sera sollicité. Vous voulez partager vos biens entre vos héritiers, c'est encore le notaire qui sera sollicité. Tant que le notaire agira ainsi avec une certaine justice, dans votre famille, il y aura la paix. Donc l'action du notaire est une action extrêmement bénéfique, vitale non seulement pour la famille mais pour le pays. A l'inverse, lorsqu'il n'y a pas de notaire dans votre vie, d'abord vous avez compris que sur toute la longueur c'est du désordre et après vous, c'est le déluge. Car si vos héritiers ne peuvent pas s'entendre, les locataires et toutes ces personnes étrangères ne pourront que tirer profit de vos biens parce que ceux qui sont censés hériter n'ont pas été organisés, conseillés par un notaire. Le notaire est au début et à la fin de toute chose.


Que répondez-vous à ceux qui pensent que la charge du notaire est réservée à une certaine catégorie de personnes, disons les plus nantis ?

D'abord, c'est une contrevérité ; une contrevérité planétaire, historique qui résiste à la réalité malheureusement. Le notaire est le seul professionnel semi-libéral dédié aux autres, à l'entreprise sans relâche. Vous savez, l'huissier de justice est officier libéral qui est nommé au même titre que le notaire. Mais l'exercice de son métier fait que l'huissier de justice sort de son cabinet pour aller signifier des actes en entreprise, à domicile. Vous prenez l'avocat, il a rendez-vous dans les tribunaux pour suivre des procédures, plaider des dossiers. Le notaire est le seul qui n'a pas d'obligation à l'extérieur de sa juridiction. Le notaire est le seul agent libéral qui bénéficie en même temps de la puissance publique que lui a confiée l'Etat. Donc il est présent à son cabinet du matin au soir. Quelque soit votre milieu social, votre origine, vous pouvez aborder avec le notaire toutes les questions liées à tous sujets de la vie. Son statut de libéral pourrait le pousser à prendre des honoraires libres. Très rares sont les notaires qui le feront. Il vous conseillera gratuitement jusqu'à ce que vous preniez la décision de faire des actes. Dans ce cas, le notaire a un tarif fixé par l'Etat qui est assis sur les actes écrits. Ce qui fait que le notaire va être moins cher parce qu'il peut vous recevoir dix fois mais va instrumenter une fois. Il peut vous recevoir pour un tout petit dossier ; il va vous conseiller, vous accompagner. Au final il ne tient pas compte de l'intérêt qui est en jeu. Le même temps qu'il aura mis avec vous, une personne de condition modeste, il le mettra avec une multinationale ou une personne de famille nantie. Donc le notaire est un agent social, un instrument de justice sociale. Le notaire traite à égalité les personnes de différentes couches sociales. Et vous verrez que le notaire est l'ami du pauvre.

Ah bon?

Je vous ai dit que le notaire est revêtu du sceau de la vérité. Si vous êtes confronté à un riche devant le juge, admettons pour une parcelle de terre, si vous avez un titre notarié qui justifie que la parcelle est à vous, l'autre multinationale ou riche, ne pourra pas vous déposséder de votre parcelle. Parce que vous avez un titre notarié, vous gagnez le procès. C'est ça le notaire. Ce n'est pas le professionnel qui se range derrière le plus riche. Le notaire n'a pas de partie pris. Tous les clients qui franchissent le seuil d’un office notarial sont soumis à la même enseigne. Nous avons l'obligation légale de traiter avec tout le monde.

Quelle peut être la valeur d'un acte notarié dans un procès ?

Dans un procès civil comme dans un procès pénal, l'acte que dresse le notaire a force de vérité. Il est incontestable.

 

Aujourd'hui en Côte d'Ivoire, comment se présente l'activité notariale ?
Il y a des avancées sur le plan des notaires. Nous avons en l'espace de 5 ans, quasiment triplé la population des notaires dans notre pays. Ce qui est une belle avancée parce que l'objectif, c'est le maillage territorial. Nous avons près de 200 notaires actuellement en Côte d'Ivoire. Il est conseillé, dans chaque localité de notre pays, qu'il y ait un notaire. Malheureusement nous n'atteignons pas encore ce maillage mais nous restons confiants. Plus le pays atteindra des galons en terme de revenus par habitant, plus il faudra des notaires dans chaque localité. Sur le plan de l'efficacité matérielle de la profession, il y a effectivement une paupérisation de la population de notaires actuellement puisque les opportunités autrefois concentrées, entre les mains de quelques notaires sont désormais disputés par plusieurs notaires. Ce que l'Etat devrait faire, en même temps qu'il nomme des notaires, c'est de créer des richesses qui permettent à ces derniers par exemple d'intervenir dans des domaines plus variés et surtout de prendre des dispositions réglementaires pour que la vie professionnelle du notaire soit à la hauteur de son titre. Qu'il soit mieux rémunéré afin qu'il ne soit pas obligé de se nourrir sur le dos des clients. L'Etat devrait améliorer les revenus du notaire en essayant de relever l'indice de ces prestations.


Quel peut être l'apport du notariat dans la construction de la Côte d'Ivoire nouvelle?

L'économie est la fibre dorsale du développement. Si l'économie va bien, alors on peut parler de développement. Pour que l'économie soit, il faut des hommes qui viennent trouver ceux qui sont là et travaillent en toute confiance. La confiance est cimentée par la justice. S'il n'y a pas de justice, il n'y a pas de confiance. S'il n'y a pas de confiance, il n'y a pas d'économie. S'il n'y a pas d'économie, il n'y a pas de développement. Nous avons en Côte d'Ivoire en particulier un grave problème de justice qui part de l'absence de preuves écrites authentifiées. Nous avons un système juridique volontairement de droit écrit. Malheureusement, le tiers de notre population n'est que moyennement alphabétisée, ce qui explique qu'on ne puisse fournir des preuves tangibles à la justice lors des procès. Ce qui est fondamentalement dangereux pour la justice dans la pratique. Le notaire arrive donc dans ce schéma comme un sauveur, comme un rempart ; là où le système ne dispose d'aucun livre, d'aucun acte passé, d'aucune bibliothèque, d'aucune œuvre d'envergure. La justice se retrouve donc sans mémoire. Le rôle du notaire est plus qu'important puisque son travail consiste à apporter la preuve écrite. Il est donc important que ces officiers que sont les notaires soient au cœur du système juridique pour que demain aucun opérateur économique qui est arrivé chez nous pour travailler ne soit lésé en cas de besoin. La moindre erreur en justice peut coûter très cher. On ne peut pas investir dans un pays où il n'y a aucune preuve écrite, où des juges ont des dossiers vides. Ils décident sur quelle base ? Lorsque dans le dossier, il y a un acte authentique, lorsqu'il y a un titre signé du notaire, alors ça devient du non falsifiable. Les populations devraient donc être informées pour connaître cet acteur de l'Etat, pour connaître ce haut magistrat, pour créer la preuve et permettre à la justice d'être sérieuse. Par corrélation, permettre à l'économie de tourner. Faute de quoi, les opérateurs vont ailleurs. Le notaire vient en rempart lorsque vous êtes face à un mastodonte. Si vous avez l'acte authentique notarié, vous gagnez forcement le procès. C'est donc un devoir que nous avons d'avoir à passer le message de l'acte notarié et faire cesser de croire que le notaire est un personnage dédié aux riches, qui n'a rien à voir avec les pauvres. Cela est important pour que les plus forts ne mangent pas les plus faibles.

Vous le croyez vraiment ?

Le notaire, plus que dans les pays développés, est un agent de développement. L'industrie de la preuve est totalement éteinte en Afrique. Si le notaire s'implique auprès des populations rurales pour sécuriser les terres, à créer et délivrer des titres de propriété, cela va créer des richesses pour le pays. Le notaire doit donc ici plus qu'ailleurs être présent pour régler les questions de succession. Nos familles sont pour la plupart pléthoriques ; deux, trois ou quatre femmes ayant des enfants. Le rôle du notaire est de faciliter un meilleur morcellement des biens. Nombre de gens se sont fait parfois fusiller, poignarder, empoisonner, emprisonner sur l'autel de conflits familiaux qui ont leurs sources dans la mauvaise gestion de l'héritage familial ou de l'entreprise commune. Les populations doivent retenir que le notaire est un ami. Et l'Etat doit retenir que le notaire est son meilleur agent secret. Puisque le notaire est dépêché auprès des populations par l'Etat. Là où les inspecteurs des impôts ne sont pas, nous sommes là pour lever les impôts ; les transactions qui auraient pu se passer hors du giron de l'Etat, se traite dans nos ministères où nous représentons l'Etat, donc nous faisons gagner beaucoup d'argent à l'Etat. Il faut que les populations considèrent le notaire comme un ami à qui se confier et que l'Etat considère le notaire comme son meilleur agent secret, percepteur de taxes et de droit public. Le notaire bénéficie de la confiance publique qu'on appelle la "fidès publica" ; ce qui rend le notaire fort, mais aussi de la main publique qu'on appelle en latin la "manus publica". Lesquelles lui permettent au nom du peuple de Côte d'Ivoire, au nom de l'Etat, de signer des actes. Plus qu'un élu, c'est un magistrat qui est doté de pouvoirs extraordinaires. Il a des prérogatives de puissance publique qui lui donnent une certaine place au panthéon des pouvoirs publics. Il n'est responsable que devant la loi pour faux en écriture. Le notaire est nommé à vie. C'est l'un des professionnels libéraux qui n'a pas de retraite.

Entretien réalisé par A.K.