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Un an après avoir montré son sexe sous ‘’L’origine du monde’’ de Courbet, l’artiste luxembourgeoise Déborah de Roberts réitère la performance. Cette fois-ci sous l’Olympia de Manet. Elle a été immédiatement arrêtée.

 

Samedi 16 janvier, alors que de petits malins se dessinaient des éclairs sur les joues en prévision de la parade organisée par Arcade Fire en hommage à Bowie dans les rues de la Nouvelle Orléans, une jeune femme se dénudait au musée d’Orsay, à Paris. Allongée en tenue d’Eve au pied du tableau L’Olympia de Manet, Déborah de Robertis, une Luxembourgeoise de 31 ans, était munie d’une caméra portative pour filmer les réactions du public venu découvrir l’exposition Splendeurs et misères, Images de la prostitution 1850-1910, qui prenait fin dimanche dernier.

Ayant très peu goûté la performance, l’établissement s’est empressé d’évacuer la salle et de demander à l’artiste de bien vouloir se rhabiller. “Elle a refusé et a demandé à parler avec un responsable. Un représentant de la direction est donc venu s’entretenir avec elle, nous assure la porte-parole du musée, mais au vu de son refus de se rhabiller, nous avons appelé la police.” Le musée a porté plainte, et Déborah de Robertis s’est retrouvée en garde à vue, avant de passer la nuit au dépôt du Palais de Justice. Déférée devant le délégué du procureur ce lundi 18 janvier au matin, elle a écopé d’un rappel à la loi, mais ne sera pas poursuivie.

Une première action devant L’Origine du monde

La jeune femme n’en est pas à son premier coup d’éclat. En 2014, vêtue d’une robe dorée, elle exposait son sexe sous le tableau L’Origine du monde de Courbet, dans le même musée. La plainte de la direction était alors restée sans suite.

“C’est une récidiviste. Il y a pourtant un règlement de visites, déplore la porte-parole du musée. Nous avons reçu un mail nous prévenant de sa performance deux minutes avant. Compte tenu de la situation actuelle, des nouvelles mesures de sécurité, on a vraiment d’autres choses à faire en ce moment. Si elle souhaite mener des actions chez nous, qu’elle prenne rendez-vous. C’est la règle !

Dans le camp adverse, son avocat, Me Tewfik Bouzenoune, se dit “inquiet” face au manque d’ouverture du musée :

“Orsay sanctionne Déborah de Robertis parce qu’elle se met nue alors même qu’il présente depuis des mois des expos sur le nu : Sade, le nu masculin, la prostitution… C’est paradoxal de reprocher à une artiste de s’être mise nue parmi les nus.”

En 2013, l’exposition Masculin/masculin, consacrée cette fois-ci au nu masculin dans l’art, avait vu débarquer un visiteur dans le plus simple appareil : Arthur Gilet, 27 ans, ancien élève des Beaux-Arts de Rennes, s’était baladé nu, son sac en bandoulière, dans les couloirs de l’établissement. Il nous avait alors raconté que son action n’avait pas créé de scandale, ni du côté des visiteurs, ni du côté du musée, le directeur de la surveillance lui proposant même d’adresser une lettre à la direction afin de réaliser une performance de façon plus officielle.

C’était très différent, rétorque la porte-parole du musée lorsqu’on mentionne l’anecdote, car il a directement obtempéré, et que ça s’est fait dans le cadre d’un vernissage privé, et non dans les derniers jours d’une exposition bondée.” Mais, pour Me Bouzenoune, la différence de traitement s’explique en partie par la différence de sexes :

“ça rejoint l’histoire d’Eloise Bouton, ancienne Femen poursuivie pour exhibition sexuelle après avoir montré ses seins dans l’église de la Madeleine. Lorsque les Hommen se baladent torse nu pour soutenir leurs revendications, personne ne dit rien. On considère donc que, par nature, le sein féminin est sexuel, alors qu’il l’est tout autant que le téton d’un homme. Cette performance soulève donc des questions d’égalité sexuelle.”

L’action de Déborah de Robertis invite, aussi, à s’interroger sur les limites de l’exhibition sexuelle, définie par l’article 222-32 du Code pénal, comme “imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public” et punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Or, dans quelle mesure la poitrine nue d’une femme relève-t-elle d’une “exhibition sexuelle” ? Et quid des parties génitales ? Pour Me Bouzenoune, l’imprécision de cette définition en fait “une source d’arbitraire” : “Qu’est-ce que la pudeur au XXIe siècle ? Est-ce la même qu’il y a dix alors même que le corps humain s’expose dans l’espace public pour des raisons commerciales ?”

“Qui est l’artiste, qui est le modèle?” 

Où se situe la limite d’une performance, dont la définition même est de déranger, bousculer, titiller, voire choquer ? Où commence et où s’arrête la liberté de chacun en matière d’art ? Ces questions avaient déjà agité les esprits en 2013 suite à la performance de Steven Cohen. L’artiste sud-africain avait traversé la place du Trocadéro en corset blanc, perché sur d’immenses talons, un coq attaché à son pénis. Déclaré coupable d’exhibition sexuelle mais dispensé de peine, il avait déclaré à Libération, deux ans plus tard à l’occasion de sa participation à l’’exposition Cherchez le garçon au Mac/Val :”Cette performance reste politique, plus que sexuelle : il s’agit de ne pas céder nos corps aux structures qui nous gouvernent.”

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